HASEGAWA EN NOIRS ET EN COULEURS DANS LA PÉRIODE 1913 -1932

20 janvier 2019 |

par Yves Dodeman

 

Au Japon

Kiyoshi Hasegawa naît en 1891, à Yokohama, un des trois premiers ports japonais ouverts aux étrangers en 1859, après deux siècles d’isolationnisme total. Son enfance dans cette ville cosmopolite explique peut-être son attirance pour le monde occidental.
A 19 ans, il étudie le dessin et la peinture dans deux académies de Tokyo et commence à s’intéresser à l’art européen. Alors que la gravure traditionnelle polychrome sur bois était à son déclin, de jeunes artistes nippons s’émerveillaient pour les œuvres de Gauguin, Munch, Kandinsky, Kirchner… Au système traditionnel d’élaboration des gravures avec trois intervenants : le dessinateur, le graveur et l’imprimeur, ils entendaient substituer le travail de l’artiste unique qui conçoit et réalise l’œuvre dans sa totalité. C’est ainsi que naquit le mouvement Sosaku Hanga (L’estampe créative).
À l’époque, la gravure sur cuivre est quasiment inconnue au Japon. Initié à cette technique nouvelle par Saburosuke Okada, Hasegawa fait venir une presse d’Angleterre. Ses premières eaux-fortes répertoriées datent de 1913 ; il a alors 22 ans. En 1916, il fonde avec quelques amis, la première association de graveurs au Japon, le Nihon Hanga Club. Mais le bois reste toujours son médium favori. De 1913 à 1917, K. Hasegawa illustre plusieurs revues littéraires puis, en 1917, le premier recueil de poèmes de son ami, Konosuké Hinatsu, «Tenshin no sho» (Hommage à la métamorphose). Suivra, en 1918, des bois de fil pour «Gekko to Pierrot» (La lumière de la lune et Pierrot), de son autre grand ami, le poète Daigaku Horiguchi.

La meilleure spécialiste de Hasegawa, Madame Kiyoko Sawatari, conservateur émérite du département des estampes au Musée d’Art de Yokohama, nous apprend qu’il exécutait ses gravures « directement sur le bois, sans calque ni dessin, ce qui n’était pas habituel à l’époque » et que, par ailleurs, il « adopta des inventions techniques comme l’impression or sur papier bleu foncé, inspirée par la calligraphie traditionnelle du Japon, et l’impression à effet de dégradé qui se trouve dans les estampes de Hokusai et Kunitora »1.

 

1/ Kiyoko Sawatari, «La jeunesse de Kiyoshi Hasegawa au Japon», in «À propos de l’œuvre gravé de Kiyoshi
Hasegawa (1891-1980)», publié par la Fondation Taylor en1998
 

En France

Hasegawa désirait ardemment découvrir sur place les œuvres originales de l’art occidental mais la guerre faisait rage en Europe et
il dut attendre la fin du conflit pour entreprendre son voyage. Ayant pris le premier bateau disponible pour San-Francisco, en décembre 1918, il traversa les États-Unis et s’embarqua pour Le Havre. Il arriva en avril 1919, à «Paris qui était depuis longtemps dans mon cœur», écrit-il en juillet de la même année.
Ses toutes premières estampes en France sont des bois de bout car, dès 1920, il reprend l’illustration de poèmes d’Horiguchi. En 1921, il grave sur bois de fil des paysages (Cagnes et Meudon) et des scènes d’un voyage en Bretagne. Ses premières eaux-fortes et pointes sèches n’apparaissent que l’année suivante.
Le cuivre et le bois coexisteront jusqu’en 1932, année où il illustre de cinq bois de bout la chanson d’Ernest Dumont, «Nuits de Chine»2. Il ne retouchera plus à la xylographie.
Hasegawa continuera à se distinguer dans toutes les techniques de la taille-douce, y compris le burin, mais c’est la manière noire qui fixera sa renommée à partir des années soixante.

 

Le noir et la couleur chez Kiyoshi Hasegawa

Les bois de Hasegawa qui ornaient la couverture des revues littéraires japonaises étaient toujours en couleurs, tandis que ses autres estampes l’étaient rarement. Citons, parmi ces exceptions, quelques séduisants paysages du Japon, comme «Port de Hakodaté» ou «Lune rouge» (1917), mais aussi de
France, comme «Église de Cagnes» et «Viaduc de Meudon» (1921), «Vieille maison à Quimperlé» (1922) et enfin «La Colle» (1928) qui restera inachevé.
En revanche, l’œuvre en taille- douce d’Hasegawa est exclusivement monochrome et le plus souvent en noir et blanc 3.
La couleur, Hasegawa l’exprimait avant tout sur ses toiles. En effet – on l’oublie parfois – Hasegawa, entre les deux guerres, eut au moins autant de succès avec ses gravures qu’avec ses peintures qu’il présenta dès le début de son séjour en France puisque ses premières expositions d’huiles sur toile datent de 1924 (Peintres-Graveurs Indépendants et Salon d’Automne).
Il y eut ainsi, à partir de 1923, deux Hasegawa, l’un qui regardait en couleurs le monde qui l’environnait, peignant des paysages du Midi ou des bouquets champêtres, l’autre qui imaginait l’univers en noir et blanc lorsqu’il gravait. La sobriété et la pureté du noir et blanc lui permettaient de mieux exprimer la poésie des sujets et le mystère de la vie, de sentir le rythme subtil de la nature et ainsi, «par le monde visible entrer dans le monde invisible 4».

 
2/ « Chansons populaires françaises, de 1870 à nos jours », publié à Paris par la Société de la Gravure sur Bois Originale (SGBO) dont il était membre depuis 1930
 
3/ Il existe certaines épreuves exceptionnellement coloriées à la main
 
4/ Entretien avec Robert Rey, 1963